vendredi 30 décembre 2011

Comme on n'a pas le choix, il nous reste le cœur (Orangenpunsch pour se réchauffer)


La première fois, c'était le 26 septembre 2005.
Ce matin-là, au lieu de descendre rue d'Ulm pour assister à cette école de linguistique à laquelle je m'étais inscrite, j'avais prolongé mon trajet en bus jusque dans le Marais, pour atterrir sur une banquette de L'Étoile Manquante.
C'était là que je l'avais rencontré, lui, avec sa veste qui ressemblait à un bleu de travail, sa barbe de plus de trois jours, et surtout cette mine de type pas commode. Était-ce bien lui ?
Installé sur la banquette, à deux tables de la mienne, il avait commencé à griffonner quelque chose dans un carnet. Mes doutes s'étaient alors dissipés : ce ne pouvait être que lui. Je m'étais approchée de lui pour lui poser la question, sa réponse avait été affirmative. S'en était suivie une longue discussion sur son travail — un album était en préparation sur l'élection présidentielle américaine —, sur Monsieur Jean, sur Henriette, que mon ami L. m'avait fait découvrir parce qu'il me trouvait une certaine ressemblance avec elle, sur la bande dessinée en général... Nous avions parlé des auteurs que nous aimions, de lui, et de moi (ma thèse, etc). Je me souviens avec bonheur de cette conversation.
Puis il avait dû partir, et j'étais restée sur un regret : celui de ne pas avoir osé lui demander un dessin dans mon carnet.

Ce mardi d'avant Noël, dans le 26 qui m'emmenait vers la rue des Martyrs, alors que je venais d'engloutir un délicieux pain au chocolat de La Gambette à Pain — d'autant plus délicieux après 1h15 de brasse coulée, dans une piscine quasi vide — et que j'avais une grosse miette coincée entre les dents — mais je ne le sus que plus tard, devant le miroir des toilettes de Rose Bakery —, je n'imaginais pas une seule seconde que nos chemins allaient de nouveau se croiser.
Je ne l'ai pas vu monter dans le bus, mais quand j'ai eu la certitude qu'il s'agissait de lui, je n'ai pas résisté à l'envie d'aller lui parler, en lui posant exactement la même question que six ans auparavant : "Excusez-moi, vous êtes bien Philippe Dupuy...?"
Après son "oui", il y eut un grand moment de silence et de débilité profonde : je n'avais pas anticipé la suite de la conversation. Puis, je lui ai rappelé la rencontre que nous avions eue à L'Étoile Manquante, éberluée et ravie de le rencontrer à nouveau par le plus grand des hasards. La discussion fut brève cette fois-ci, mais j'ai pu lui redire à quel point j'appréciais son travail, et implicitement celui de Charles Berberian — en particulier les premiers tomes de Monsieur Jean, La théorie des gens seuls, Journal d'un album, les carnets de voyage ainsi que les travaux d'illustration. Il me confia, entre autres choses, qu'un livre assez volumineux allait paraître au printemps prochain. Puis, très vite, ce fut le moment pour moi de descendre.
J'aurais voulu avoir une conversation plus intelligente et spirituelle, mais bon, on fait ce qu'on peut.

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Trois jours plus tard, à la piscine, je suis tombée sur mon ami Borgia qui m'a interpelée en allant sortant de sa cabine : "Hé, miss Borgia ! Il y a un petit déjeuner tout à l'heure, tu viendras ? On fait ça tous les ans à Noël, tu verras, c'est sympa."
C'est ainsi que je me suis retrouvée, à l'heure de la fermeture de la piscine, devant un buffet de gâteaux maison et de viennoiseries, en compagnie des autres nageurs et des maîtres-nageurs. Certains sont tout à fait méconnaissables une fois habillés et coiffés, ou alors, nous ne nageons pas dans la même zone... J'ai pris une tasse de thé et grignoté un bout de gâteau — avec modération parce qu'une expédition à La Gambette à Pain était prévue —, posé pour des photos, échangé quelques mots avec les copains de Borgia. Un peu intimidée, mais très agréablement surprise par la convivialité de ma nouvelle piscine, qui est un peu comme le train de Gracianne !

Après ce chouette interlude, je me suis rendue à la Gambette pour refaire des provisions, car ils fermaient toute la semaine entre Noël et le nouvel an. J'avais tant de victuailles — notamment 1 kg de pain préféré, en partie pour accompagner le foie gras du réveillon — que la vendeuse m'a tout mis dans un grand cabas visiblement bricolé avec un sac de farine, et j'étais toute fière en sortant de la boulangerie : c'était à la fois le plus chouette cabas qu'on m'ait jamais donné et un superbe exemple de recyclage.



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Cette semaine-là a commencé et s'est terminée avec Wohin und zurück - Welcome in Vienna, trilogie éblouissante et méconnue d'Axel Corti, qu'on a eu la bonne idée de ressortir cet hiver. Le public était nombreux à toutes les séances à l'Arlequin, formant un beau camaïeu de chevelures parme-grises-blanches — l'absence quasi totale de cinéphiles plus jeunes m'a fortement interpelée. C'est un cinéma exigeant, certes, mais on suit avec angoisse et empathie le quotidien de ces Autrichiens juifs en fuite à travers l'Europe puis l'Amérique, qui essaient de survivre dans cette époque tourmentée ; on tremble pour eux, avec eux.
Je confesse une très légère préférence pour l'épisode new-yorkais (Santa Fe, le 2ème volet), peut-être parce qu'il constitue une parenthèse loin de la guerre, teintée d'espoir, même si cet exode-là charrie lui aussi son lot d'horreurs.
Ne perdez pas de temps et allez les voir avant qu'il ne soit trop tard ! (Et si par hasard vous avez vu ou lu certaines des daubes de Gabriel Barylli, vous serez sans doute ravis de le voir là dans un rôle magnifique.)


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Cette semaine fut un moment de répit dans cette année (relativement) atroce. Ce qu'il y a à retenir de 2011 se compte sur les doigts d'une seule main : une nouvelle amitié, une rencontre réjouissante, un voyage de rêve, la découverte d'une boulangerie exceptionnelle* et de la piscine presque idéale. Pour tout le reste, j'espère que 2012 se montrera plus clémente — au stade où j'en suis, un travail, même précaire, suffirait à mon bonheur.

Passez un bon réveillon et portez-vous bien en 2012. J'ai envie de vous proposer un Punsch** pour trinquer à la nouvelle année. C'est notre boisson préférée du moment, qui nous console en plus de ne pas avoir pu retourner à Vienne cet hiver.

Merci d'être encore là.


Orangenpunsch (Punsch à l'orange)
(recette déjà publiée sur La bouche pleine)


pour 2 grands mugs

30 cl d'eau (filtrée)
2 sachets de thé noir (type English breakfast)
20 cl de jus d'orange*** (environ 3 petites oranges) (ici : des oranges sanguines)
1 c.s. de sucre blond de canne
1 c.s. de miel
1 bâton de cannelle fendu
1 clou de girofle
6 cl de rhum blanc agricole (ou un peu plus, si vous voulez)

Faire chauffer l'eau dans une petite casserole.
Un peu avant l'ébullition, retirer du feu, ajouter les sachets de thé et laisser infuser quelques minutes.
Ajouter le jus d'orange, le miel, le rhum, la cannelle, le clou de girofle, et faire chauffer (mais sans faire bouillir). Laisser infuser un moment.
Filtrer et servir bien chaud.


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* L'année prochaine, promis, j'arrête de vous bassiner avec La Gambette.
** Prononcer "pounche", à l'autrichienne (et non "ponche").
*** Il est important d'utiliser soit du jus d'oranges fraîchement pressées, soit du jus en brique 100% pur jus (type Tropicana au rayon frais). Sinon, le goût d'orange sera trop fade.

lundi 19 décembre 2011

Des lendemains qui chantent, malgré la pluie battante (et des Weihnachtskekse)


Se lever, tôt. Sortir affronter le métro bien avant l'heure de pointe, pour se plonger dans un bassin d'eau chlorée. S'immerger, glisser dans l'eau bras et jambes tendus, ressortir la tête, inspirer, puis replonger, et recommencer encore et encore. Nager inlassablement pendant cinquante minutes, une heure, sans penser à rien. La seule chose qui compte : se fondre avec l'eau — savez-vous quel plaisir addictif cela représente ? On en ressort l'esprit infiniment plus léger.


Non, je ne suis pas solide
Ça c'est la nature qui décide
Non, je ne suis pas solide
Je suis cassable, je suis passable
Je suis liquide


Dans mon quotidien actuel, il y a toujours les séances de cinéma, mais plus seulement du matin. Il y a les expéditions à La Gambette à Pain — où M. Mathon m'a saluée d'un signe de la tête à travers la vitre une fois, reconnaissant certainement celle qui traverse Paris pour son pain préféré et qui est parfois obligée d'aller patienter au troquet à Saint-Fargeau quand le pain est encore au four — et aussi les pérégrinations du côté de la rue des Martyrs, qui est accessible par un bus direct de Gambetta, ce qui est bien pratique même si le trajet n'est pas des plus courts.
À l'arrivée, je vais souvent chercher un pain au cacao ou aux noix chez Landemaine — mais attention, le pain au cacao est parfois rabougri et trop cuit. J'aime bien aller boire un capuccino chez Kooka Boora en contemplant les jolies cafetières exposées dans la vitrine, puis acheter une, voire deux parts de cake à la pistache pour mon poulet chez Rose Bakery — ce cake est sa nouvelle addiction. Quant à moi, j'aime toujours autant déjeuner chez Rose Bakery, d'une assiette de légumes hyper colorée et appétissante et plein de pain Poujauran beurré, ou d'un risotto quand il n'est pas aux champignons. Mais un jour où ma banque avait bloqué ma carte bleue et où je n'avais que 3,20 € en poche quand je m'en suis aperçue, j'ai dû me contenter d'un pain aux noix (1 €), un yaourt aux fruits (1,24 €), une clémentine (10 centimes), le tout arrosé d'une bouteille d'eau très bon marché (18 centimes) ; et comme il me restait encore quelques dizaines de centimes au fond du porte-monnaie, j'ai pu m'offrir une banane en bonus (26 centimes) — étant donné que je n'arrêtais pas de demander le prix de chaque chose, la caissière du supermarché m'a sans doute prise pour une clocharde. Pour me consoler de cela, une fois l'incident bancaire clos, je suis allée m'acheter une gigantesque côte de bœuf pour quatre chez mes anciens amis bouchers de la rue Blanche.
Quand j'ai du temps et aucun rendez-vous en vue, j'aime bien aller admirer les chouettes objets rassemblés au Rocketship — dont plusieurs font déjà partie de mon quotidien : tasse Isak, mugs Orla Kiely, valisette Mouk... Au terme de plusieurs semaines de tergiversations, j'ai fini par y acheter un moulin à café japonais (avec une meule en céramique) et un paquet de café en grains de chez Coutume. Depuis, je prends plaisir à moudre tous les jours du café pour mon poulet, cela diffuse une odeur divine dans l'appartement — je n'aime pas tant que ça boire le café, mais j'adore le sniffer dans le paquet, car cette odeur me rend dingue.


Mon corps est une cage
Qui m'empêche de danser
Avec l'homme que j'aime

Et moi seule ai la clef



Mais en fait, je me fiche un peu du café, car ce serait plutôt du thé qui coule dans mes veines. Et un des moments les plus délicieux de ces dernières semaines fut l'après-midi passé au Zenzoo Thesaurus à m'initier au gong fu cha. Ce n'était pas le but de ma visite, mais il m'était déjà arrivé de converser en mandarin avec la charmante Taïwanaise qui tient la boutique, elle se souvenait de moi, je lui avais raconté d'où venait ma famille, quel dialecte je parlais avec mes parents et grands-parents, etc... Je me sentais suffisamment en confiance pour faire mon initiation avec elle, et je ne l'ai pas regretté. J'ai adoré écouter ses explications — en version bilingue et avec une patience et une gentillesse qui avaient cruellement fait défaut à la Maison des Trois Thés le jour où je m'y étais rendue —, j'ai adoré observer ses gestes précis et sûrs, et cette dégustation de Si Ji Chun fut un moment de plaisir et de sérénité rare, un moment hors du temps.
Je saurai désormais comment utiliser les ustensiles à thé qui croupissent dans un coin de ma cuisine depuis des années...


J'aime sa minceur
J'aime sa maigreur

J'aime sa pâleur


J'aime sa faiblesse

J'aime sa rudesse

J'aime sa détresse


Mon bonheur n'a que la peau sur les os


Ce mois-ci, lors d'un court séjour en Lorraine, j'ai fait le plein de chocolats et de gaufrettes belges dans un hypermarché de Messancy dont je vous avais déjà parlé, mangé de vraies bonnes frites à Athus, et découvert avec ravissement un petit marché de Noël sur une place à Luxembourg un soir gris et humide : Glühwein, décos de Noël en bois et objets tressés m'ont immédiatement consolée de la pluie incessante de ce week-end-là.
Pour le trajet Paris-Lorraine en voiture, j'avais emporté à la hâte une pile de CD de Benjamin Biolay, Dominique A, The Arcade Fire, REM, Leonard Cohen, Schubert... mais en oubliant les deux que j'avais le plus envie d'écouter à ce moment-là. Depuis, c'est Jeanne Cherhal qui me tient compagnie, et ce durant des heures entières. J'avoue avoir un faible pour Une tonne, que je ne me lasse pas d'écouter.


Une année j'ai pesé une tonne
Et cette année dura mille jours

Jamais on n'avait vu d'automne si long

Et de printemps si court


Tous les jeudis au Desdémone

J'allais oublier mon corps lourd

En noyant ma large personne

Dans des bains brûlant mes pourtours


Le week-end dernier, j'ai enfilé mon tablier de compétition — cousu par une fille qui fait, entre mille autres choses, des entremets épatants, des pots de thèse de folie, de jolies robes, et maintenant également des livres de cuisine — et j'ai pâtissé une journée entière, de 11h à 2h du matin, dans une ambiance qui me rappelle Vienne à chaque fois.
Dès le lundi, de petits colis étaient expédiés un peu partout en France ainsi qu'en Suisse.


Dans les colis gourmands, il y avait évidemment les quatre incontournables : Lebkuchen, Zimtsterne, Vanillekipferl et Linzeraugen ; plus les amaretti de Nilufer, que j'ai refaits étant donné le succès qu'ils ont eu l'an dernier.
Les deux nouveautés de cette année sont les Brunsli de Bâle, trouvés chez Loukoum°°°, et les étoiles au citron, faites avec la même base que les Linzeraugen et glacées avec un mélange de jus de citron et de sucre glace.


Sablés étoilés au citron


150 g de farine
100 g de beurre
50 g de sucre glace
1 jaune d'œuf
50 g de poudre d'amandes
zeste d'1/2 citron
une pincée de sel

Pour le glaçage :
un peu de jus de citron
du sucre glace

Verser la farine dans un grand saladier, ajouter le beurre froid coupé en petits morceaux et mélanger du bout des doigts pour obtenir une poudre grossière.
Ajouter le reste des ingrédients et amalgamer le tout pour former une boule.
Envelopper la pâte et la mettre au frais pendant 30 minutes au moins.
Préchauffer le four à 180 °C.
Abaisser la pâte sur un plan de travail fariné, découper des étoiles (ou d'autres formes) à l'emporte-pièce et les poser sur une plaque recouverte de papier sulfurisé.
Enfourner 12 minutes à 180 °C. Les biscuits doivent dorer légèrement.

En attendant que les sablés refroidissent (sur une grille), préparer le glaçage : verser le jus de citron dans un bol et ajouter du sucre glace jusqu'à obtenir un mélange qui ne soit ni coulant ni trop épais mais suffisamment souple pour être étalé.
Si le mélange est trop liquide, ajouter du sucre glace.
S'il est trop épais, ajouter du jus de citron par petites cuillerées.
Glacer les sablés et les laisser sécher quelques heures.


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Ce matin, mon poulet est rentré de sa promenade au parc avec une poignée de framboises. Vous croyez ça, vous, qu'on trouve encore des framboises en décembre, à une semaine de Noël ?